Des sites miniers plus coûteux que prévu pour le Québec

Source:
Le Devoir

Alexandre Shields, Le Devoir

Cette image, tirée du documentaire «Trou Story» de Richard Desjardins et Robert Monderie, montre un parc à résidus miniers abandonné. L’État québécois doit assumer la totalité de la facture (1,2 milliard de dollars) de la restauration de ces sites.

Photo: Office national du film du Canada Cette image, tirée du documentaire «Trou Story» de Richard Desjardins et Robert Monderie, montre un parc à résidus miniers abandonné. L’État québécois doit assumer la totalité de la facture (1,2 milliard de dollars) de la restauration de ces sites.

La contamination plus importante que prévu de certains sites miniers abandonnés entraîne une hausse des coûts pour l’État québécois, qui en a entièrement la charge. Le gouvernement Legault assure que la facture ne devrait pas dépasser l’évaluation de 1,2 milliard de dollars, mais la coalition Pour que le Québec ait meilleure mine ! affirme que les coûts totaux risquent d’être beaucoup plus élevés que prévu.

Alors que la « caractérisation » de la contamination de plusieurs dizaines de sites d’exploration et d’exploitation minière abandonnés reste à faire, le bilan des travaux menés en 2020-2021 sur d’anciens sites d’exploitation qui sont aujourd’hui à la charge de l’État démontre que les coûts ont été plus élevés que ce qui était prévu.

Selon ce qui se dégage de ce « Bilan du plan de travail » du ministère de l’Énergie et des Ressources naturelles (MERN), le gouvernement du Québec a ainsi dépensé 28,2 millions de dollars l’an dernier pour poursuivre les travaux prévus pour venir à bout du passif environnemental des anciens sites miniers dans la province. Le montant « prévu » était de 22,5 millions de dollars.

La différence entre la prévision et les sommes réellement dépensées s’explique par la nécessité de traiter une contamination plus importante que prévu sur des sites qui ont fait l’objet de « restauration », selon ce qu’on peut lire dans le rapport du ministère. « Les dépenses réelles dépassent largement les coûts prévus, dus principalement aux travaux supplémentaires requis sur deux sites miniers », relate le document.


Contaminants

Le site « Lac Renzy » a ainsi coûté 9,3 millions de dollars au lieu des 4,3 millions prévus initialement pour 2020-2021. Ce bond de 215 % de la facture s’explique par « la gestion des matériaux contaminés aux hydrocarbures pétroliers et la présence de xanthate [un composé toxique], ainsi qu’un déchet dangereux à gérer selon la réglementation environnementale, dont les coûts de transport et d’élimination sont substantiels ». Qui plus est, cette ancienne mine de nickel de l’Outaouais, exploitée seulement de 1969 à 1972, a déjà coûté plus de 18 millions de dollars aux contribuables depuis 2007.

Un autre ancien site d’exploitation, nommé « Preissac Molybdénite », a nécessité l’an dernier « des travaux additionnels causés par la présence de contaminants particuliers (dioxines et furanes) », précise le MERN. Ce « traitement non prévu » a fait passer la facture de 8 millions de dollars à 12,2 millions de dollars. Cette ancienne mine de l’Abitibi-Témiscamingue, qui a notamment contaminé les eaux souterraines, a coûté 15 millions de dollars depuis 2007, soit l’année de référence du ministère pour le début des travaux de nettoyage des sites miniers abandonnés.

En ce qui a trait au pire site à la charge de l’État, soit celui de « Manitou », en Abitibi, les travaux de « réhabilitation des sols et des stériles miniers contaminés » et le « traitement non prévu de contaminants particuliers (dioxine et furane) » ont coûté 3,7 millions de dollars en 2020-2021. Ce site a déjà coûté plus de 25 millions de dollars au gouvernement.

En plus de la restauration des sites, le gouvernement doit assurer par la suite leur suivi et leur entretien. Dans ce cas, « les dépenses réelles 2020-2021 dépassent largement les coûts prévus, car des travaux additionnels ont été requis sur divers sites miniers », précise le bilan. Ce « suivi post-restauration et entretien » a coûté 322 000 dollars l’an dernier, mais plus de 74 millions de dollars depuis 2007, dont 35 millions uniquement pour l’ancienne mine de zinc et d’argent « Barvue ». Celle-ci a été exploitée de 1952 à 1957.

 

Coûts à la hausse

Pour la coalition Pour que le Québec ait meilleure mine ! et MiningWatch Canada, ces exemples sont révélateurs de ce qui attend le Québec, soit une facture qui devrait s’alourdir considérablement au cours des prochaines années. « Une fois qu’on commence les travaux sur le terrain, il y a des surprises qui n’avaient pas été identifiées. La dernière évaluation officielle disponible sur le site du MERN date de mars 2019, mais en réalité, ce chiffre n’est qu’une estimation, ou plutôt une grossière sous-estimation », affirme le porte-parole de la Coalition, Ugo Lapointe.

Selon cette estimation, le « passif environnemental minier » des sites à la charge de l’État s’élève à 1,2 milliard de dollars, soit 732,1 millions pour les sites abandonnés et 469,9 millions « pour les sites miniers où le MERN pourrait avoir à agir étant donné le statut financier précaire des responsables ». Depuis 2006, le gouvernement a dépensé au moins 208 millions de dollars, mais l’évaluation inscrite sur le site du ministère est demeurée la même.

Au total, le ministère recense 223 sites d’exploration abandonnés, dont 213 pour lesquels l’inventaire « reste à établir » sur le territoire Eeyou Istchee — Baie-James. Parmi les 177 sites d’exploitation minière abandonnés, le MERN en classe 110 comme étant « restaurés ». Il doit toutefois « assurer le suivi et l’entretien » de ceux-ci. Des travaux de restauration sont en cours ou à venir sur 27 autres, tandis que 36 sont en « caractérisation » et quatre « à sécuriser ».

 

Décennies de travaux

Ugo Lapointe déplore la lenteur des gouvernements successifs à s’attaquer à cet héritage toxique, qui continue de se répandre dans différents milieux naturels du Québec. Au rythme actuel, précise-t-il, il faudrait encore 43 ans de travaux pour en venir à bout.

Au cabinet du ministre de l’Énergie et des Ressources naturelles, Jonatan Julien, on déplore d’ailleurs les « décennies de laisser-aller des gouvernements précédents ». Dans une réponse écrite aux questions du Devoir, le bureau du ministre dit vouloir accélérer la « cadence ». « Nous avons déjà la totalité des fonds nécessaires pour la restauration des sites, mais il faut savoir que ces travaux requièrent des expertises scientifiques de pointe et que ces services sont en plein développement au Québec », souligne-t-on.

Le gouvernement Legault ne redoute pas une explosion de la facture au cours des prochaines années. « Il est normal d’avoir des dépassements de coûts dans certains projets d’envergure. D’autres sites coûtent moins que le montant évalué. » Aujourd’hui, rappelle le MERN, « un projet minier ne peut être autorisé que s’il a préparé la phase de restauration et déposé au gouvernement 100 % des garanties financières pour ces travaux ».

Pour le coresponsable du programme national de MiningWatch Canada, Rodrigue Turgeon, il serait important de voir le vaste chantier de restauration en cours « comme une opportunité et non plus comme un fardeau ». Il propose ainsi d’utiliser cela pour restaurer des territoires des Premières Nations, mais aussi permettre aux travailleurs miniers de continuer « d’agir positivement dans leur secteur d’activité ».