Lettre adressée le 1er avril 2022 à Monsieur Benoît Dubreuil – directeur, région du Québec, Agence d’évaluation d’impact du Canada
Monsieur le Directeur,
Par la présente, Eau Secours souhaite vous communiquer ses préoccupations relatives aux lacunes de l’évaluation d’impacts environnementaux en ce qui concerne la gestion de la contamination en arsenic des eaux de la fosse qui serait engendrée par le Projet de mine de lithium Baie James de Galaxy Lithium (Canada) Inc.
Fondé en 1997, Eau Secours a pour mission de promouvoir la protection et la gestion responsable de l’eau dans une perspective de santé environnementale, d’équité, d’accessibilité et de défense collective des droits des populations. Eau Secours participe activement depuis plusieurs années à étudier, relever et dénoncer les risques liés à l’eau des différents secteurs industriels au Québec, incluant le secteur minier.
À la lecture de l’étude d’impact environnemental (ÉIE) du promoteur [1], et plus spécifiquement du Rapport de modélisation de la qualité de l’eau de surface [2] ainsi que du Document de réponses à la troisième demande d’information [3], il nous apparaît que la gestion à long terme des eaux qui s’accumuleraient dans la fosse telle qu’actuellement proposée par le promoteur est nettement insuffisante pour assurer la pérennité et la qualité des ressources hydriques. Notre principale préoccupation concerne la contamination des eaux en arsenic.
Tel qu’on peut le lire à la page 7-45 du chapitre 7 de l’ÉIE de juillet 2021, il est prévu que la fosse laissée par Galaxy Lithium se remplisse graduellement d’une eau qui se chargera d’arsenic. Le promoteur affirme que « la nature physicochimique d’origine des eaux de surface sera rétablie » au moment du démantèlement des infrastructures de gestion de l’eau [4]. Or, le plan de restauration du promoteur ne prévoit aucune mesure concrète pour que la qualité de l’eau soit rétablie à son niveau d’origine.
Le plan de restauration du promoteur, tel que détaillé à l’annexe D de l’ÉIE [5], inclut les principaux éléments suivants en relation avec la fosse et les eaux qui s’y accumuleraient :
- Le promoteur affirme sa volonté de restaurer le site à un état satisfaisant à la suite des opérations, ce qui implique, notamment, de « limiter la production et la propagation de substances susceptibles de porter atteinte au milieu récepteur » [6];
- Le promoteur prévoit que la fosse s’inonde naturellement au fil des ans avec l’apport des précipitations et des eaux souterraines jusqu’à un niveau d’équilibre avec la nappe phréatique, ce qui pourrait prendre 180 années selon les estimés du promoteur [7];
- Un déversoir serait construit pour les surplus d’eau et le chenal d’écoulement serait dirigé vers le cours d’eau CE3 [8], lequel se déverse dans le bassin versant du lac Asiyan Akwakwatipusich situé quelques centaines de mètres en aval;
- Le promoteur ne prévoit aucun traitement des eaux de la fosse avant leur rejet dans le cours d’eau CE3.
Bien que l’Agence d’évaluation d’impact du Canada (AÉIC) ait soulevé, en janvier 2022 (réf 3, question CCE3-32), l’enjeu de la contamination en arsenic de la fosse et des impacts potentiels sur le cours d’eau CE3 et les eaux en aval, la réponse du promoteur n’apporte pas davantage de mesures pour gérer la contamination en arsenic. Le promoteur s’en remet plutôt à des hypothèses relatives au bilan hydrique et à des facteurs de dilution qui ne sont démontrés dans aucune modélisation approfondie.
Dans son rapport de modélisation de la qualité des eaux de surface (réf 2), le promoteur évalue les concentrations d’arsenic dans la fosse après les opérations. Selon cette modélisation, les concentrations d’arsenic se situeraient entre 0,20 et 0,23 mg/L jusqu’à environ 60 ans après l’arrêt des opérations. Par la suite, elles ne diminueraient pas en-dessous de 0,170 mg/L et ce, même après 180 années (réf 2, Figure 10). Or, ces niveaux sont environ 2 fois supérieurs à la norme prescrite (0,1 mg/L) par le Règlement des effluents des mines de métaux et des mines de diamants (REMMMD), environ 40 fois supérieurs aux recommandations du Conseil canadien des ministres de l’environnement (CCME) pour la protection de la vie aquatique en eau douce (0,005 mg/L), et jusqu’à 230 fois supérieurs aux niveaux d’arsenic naturellement présents dans les cours d’eau environnants (voir Tableau 1 ci-dessous).
Tableau 1: Comparaison des niveaux d’arsenic dans la fosse minière avec d’autres normes et critères
(voir PDF ci-joint)
Ces niveaux d’arsenic enfreindraient non seulement la réglementation fédérale, mais ils contribueraient également à dégrader significativement la qualité des écosystèmes environnants pendant des décennies, voire des siècles, posant des risques inacceptables pour les espèces aquatiques, la faune aviaire et la faune terrestres qui fréquentent ces milieux. Ces risques ne sont pas suffisamment documentés par le promoteur dans les évaluations environnementales.
En effet, la fosse deviendra un lac intégré au milieu naturel pendant des décennies après les opérations minières. La restauration sérieuse et responsable de la fosse devrait inclure des mesures qui tendent vers une qualité de l’eau proche des conditions naturelles qui prévalaient sur le site avant le projet. Il faut considérer que les eaux de la fosse, chargées d’arsenic, se déverseraient éventuellement dans le cours d’eau CE3, qui s’écoule lui-même vers le lac Asiyan Akwakwatipusich situé quelques centaines de mètres en aval.
Par ailleurs, il y a des contradictions dans l’évaluation du promoteur concernant les niveaux d’arsenic naturellement présents dans les cours d’eau environnants. Le promoteur mentionne dans sa réponse R-CCE3-32 : « Il est connu que les concentrations en As sont naturellement élevées dans le secteur (environ 0,100 mg/L) […] ». Or, l’ÉIE du consultant indique que la plupart des concentrations d’arsenic mesurées dans les cours d’eau du site à l’étude se situent sous la barre du 0,001 mg/L à l’état naturel actuel, et que la plus forte valeur médiane obtenue est de 0,0028 mg/L [9]. La valeur utilisée par le promoteur est 30 à 100 fois plus élevée comparativement à ces dernières évaluations. Le promoteur doit revoir la validité des données utilisées pour déterminer la gestion et le traitement des eaux de la fosse à long terme.
Un traitement devrait être envisagé pour réduire les teneurs en arsenic dans la fosse à un niveau approprié afin de protéger la vie aquatique dans la fosse et les cours d’eau avoisinants à long terme. Une recherche sommaire nous informe que des traitements techniquement accessibles et économiquement viables ont été utilisés au Canada pour traiter une eau de fosse chargée en arsenic par neutralisation et précipitation à l’aide d’un hydroxyde directement dans la fosse [10].
En somme, selon Eau Secours, il apparaît primordial que les évaluations environnementales et le plan de restauration de Galaxy Lithium incluent la gestion de la contamination en arsenic issue de la fosse. Eau Secours recommande que des mesures sérieuses et basées sur des données valides et des hypothèses fiables soient présentées par le promoteur, afin que le Québec et les collectivités touchées n’héritent pas, suivant la réalisation de ce projet, d’une fosse et d’effluents miniers contaminés à l’arsenic.
En vous remerciant sincèrement de l’attention que vous portez à la présente, et surtout n’hésitez pas à communiquer avec nous pour toute information complémentaire.
Nous vous prions de recevoir, nos salutations les plus distinguées,
Émile Cloutier-Brassard (B.Sc.)
Analyste minier, Eau Secours
Rébecca Pétrin (B.Sc., M.Env)
Directrice générale, Eau Secours
CC :
- Hon. Steven Guilbeault, ministre d’Environnement et changement climatique Canada
- Hon. Benoit Charette, ministre de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques du Québec
- Chef Kenneth Cheezo, Nation Crie d’Eastmain (version papier)
- Chef Clarke Shecapio, Nation Crie de Waskaganish (version papier)
- Terry Hubbard, président de l’AÉIC
- Marc Croteau, sous-ministre MELCC et Administrateur provincial du chapitre 22 de la Convention de la Baie-James et du Nord québécois
- Luc Lainé, président du comité d’examen des répercussions sur l’environnement et le milieu social du COMEX
- Ugo Lapointe, représentant de la Coalition Québec meilleure mine
- Rodrigue Turgeon, coresponsable du programme national de MiningWatch Canada
Notes:
- Étude d’impact environnemental révisée, WSP, juillet 2021.
- Étude d’impact environnemental révisée, Update to Surface Water Quality Modeling – Final, WSP USA, July 2021. (Annexe B)
- Réponses à la troisième demande d’information reçue de l’Agence d’évaluation d’impact du Canada dans le cadre de l’évaluation environnementale du projet Galaxy Lithium (Canada) Inc., WSP, janvier 2022.
- Étude d’impact environnemental révisée, Chapitre 7 : Identification et évaluation des impacts sur l’environnement, section 7.2.4, Phase de postrestauration. WSP, juillet 2021.
- Étude d’impact environnement révisée, Plan de restauration préliminaire, WSP, juillet 2021. (Annexe D)
- Ibid., section 4, §2.
- Ibid., section 4.6.6, §2.
- Ibid., section 4.6.6, §3.
- Étude spécialisée sur l’habitat aquatique, tableaux 6 à 14, WSP, juillet 2018.
- BC MEND ML/ARD, Annual Workshop et Study to Identify BATEA for the Management and Control of Effluent Quality from Mines, MEND Report 3.50.1, September 2014.