Le gouvernement du Canada a créé l’Institut canadien international pour les industries extractives et le développement (ICIIED), un autre outil mal conçu pour servir les intérêts des sociétés minières canadiennes opérant à l’étranger. Lors d’une présentation auprès de l’Association minière du Canada en juin 2013, l’ancien ministre du Développement international, Julian Fantino, promettait aux représentants de l’industrie que l’Institut « sera votre plus grand et meilleur ambassadeur ».[1]
Même si les communautés affectées par les mines, leurs organisations représentatives et les gouvernements pourraient certainement bénéficier d’une expertise indépendante, l’ICIIED ne fournira pas de conseils indépendants. Il ne sera pas crédible étant donné l’intérêt du gouvernement du Canada ainsi que son objectif déclaré visant à promouvoir et à protéger les intérêts des sociétés extractives canadiennes présentes à l’étranger, sans parler de sa médiocre feuille de route.
L’ICIIED a été fondé grâce à un don de 24,6 millions $ de l’Agence canadienne de développement international (ACDI), qui fait maintenant partie du ministère des Affaires étrangères, du Commerce et du Développement (MAÉCD). Il a finalement été officiellement lancé le 29 janvier 2014 à titre de partenariat entre l’Université de la Colombie-Britannique (UCB), de l’Université Simon Fraser (USF) et de l’École Polytechnique de Montréal.
La prétendue mission de l’Institut est de travailler avec les gouvernements nationaux, régionaux et locaux pour veiller à ce que l’extraction des ressources contribue à la croissance durable et à la réduction de la pauvreté. Un Accord de contribution a été intervenu entre l’UCB et l’ACDI en mai 2013 pour la mise en place de l’ICIIED.
L’Accord de contribution illustre les raisons pour lesquelles l’Institut ne peut pas atteindre les objectifs fixés lorsqu’il est tenu compte des exemples de l’implication antérieure de l’ACDI dans la gouvernance des industries extractives dans d’autres pays.
L’ICIIED n’atteindra pas ses objectifs pour les raisons suivantes :
- L’ICIIED n’est pas indépendant du gouvernement du Canada.
- L’ICIIED n’est pas indépendant des entreprises extractives canadiennes.
- L’ICIIED favorisera la croissance de l’industrie extractive plutôt que la réduction de la pauvreté.
- Les contributions antérieures du gouvernement canadien à la gouvernance des ressources naturelles ailleurs affichent un bilan privilégiant l’investissement et la rentabilité plutôt que la réduction de la pauvreté et la protection des droits des communautés, des travailleurs et de l’environnement.
1. L’ICIIED n’est pas indépendant du gouvernement du Canada
Le gouvernement du Canada a conçu et financé l’ICIIED.
L’Accord de contribution assure le contrôle du gouvernement canadien sur les déclarations publiques initiales de l’Institut. L’Accord stipule que l’Institut « ne doit faire aucune annonce publique initiale, au Canada ou à l’étranger, ayant trait à cet Accord, le Projet, ou à quelconque information contenue dans les documents ci-joints sans d’abord donner à l’ACDI un préavis de soixante (60) jours et sans en obtenir l’approbation écrite. En cas de circonstances exceptionnelles, l’ACDI peut, à sa seule discrétion, consentir à une période de préavis inférieure à soixante (60) jours » (trad.) Et, même après cela « Tout le contenu directement lié au Projet qui sera utilisé lors de toute activité médiatique doit être approuvé par l’ACDI et contenir les remerciements appropriés pour la contribution de l’ACDI et de l’organisation » (trad.)[2]
L’Accord de contribution assure en outre l’influence du gouvernement sur l’Institut par le biais de son Conseil consultatif qui regroupera des hauts responsables gouvernementaux ainsi que des membres de l’industrie et d’autres secteurs. Le Conseil consultatif conseillera le Conseil exécutif de l’Institut sur « le développement et la révision continue de la stratégie, des objectifs et des priorités de l’Institut » et sur la façon de « communiquer et de promouvoir la vision et les programmes de l’Institut aux entités extérieures telles que les gouvernements, les organisations non-gouvernementales et l’industrie ».[3]
2. L’ICIIED n’est pas indépendant des entreprises extractives canadiennes
Le gouvernement du Canada financera l’ICIIED pendant cinq ans. Pour assurer son avenir, l’Institut tentera d’obtenir d’autres sources de financement, y compris l’industrie extractive. New Gold Inc. et l’Association de prospection minière de Colombie-Britannique ont déjà contribué, en espèces.
L’Accord de contribution répertorie des entreprises minières canadiennes, brésiliennes et mexicaines à titre de partenaires stratégiques, y compris African Minerals Ltd., Colossus Minerals, Goldcorp, Fresnillo, Keegan Resources, New Gold Inc., Vale, Teck Resources, l’Association de prospection minière de Colombie-Britannique, l’Association canadienne des prospecteurs et entrepreneurs (PDAC) et l’Institut canadien des mines, de la métallurgie et du pétrole (ICM).
L’industrie sera également représentée au Conseil consultatif susmentionné.
3. L’ICIIED favorisera la croissance de l’industrie extractive plutôt que la réduction de la pauvreté
Étant donné que le financement de démarrage de l’ICIIED du gouvernement du Canada provient de l’Aide publique au développement (APD), il doit se conformer à la Loi canadienne sur la responsabilité en matière de développement[4] qui stipule que l’APD doit contribuer à la réduction de la pauvreté, prendre en compte les points de vue des pauvres et respecter les normes internationales des droits de la personne.
Néanmoins, conformément à l’assujettissement de l’APD du gouvernement du Canada à des intérêts privés canadiens, l’Accord de contribution révèle que ses programmes prioriseront là où les investissements canadiens sont les plus grands. « Une présence significative de l’investissement en capital canadien dans le secteur extractif dans un pays ciblé par l’ACDI ou autre relation bilatérale importante » (trad.)[5] sera le premier critère que l’Institut utilisera pour déterminer ses programmes de « niveau A ».
En novembre 2013, une « délégation de reconnaissance »[6] de l’ICIIED s’est rendue au Pérou pour examiner les défis posés par le secteur extractif. Le ministère canadien des Affaires étrangères a indiqué que l’ambassade du Canada au Pérou a fourni à la délégation des commentaires et des contacts. Elle « a organisé une table ronde pour les principaux contacts des compagnies canadiennes afin de partager des points de vue, des outils et des ressources et de faire ressortir les lacunes dans l’expertise » (trad.)[7] Parmi d’autres pays mentionnés dans l’Accord de contribution, notons l’Ouganda, le Mali, l’Afrique du Sud, le Brésil, le Mexique, l’Équateur et la Mongolie.
Plutôt que de réduire la pauvreté, en particulier dans les pays qui comptent sur le secteur minier pour assurer leur croissance, l’exploitation minière tend à aggraver la pauvreté et à créer des déficits de développement à long terme aux paliers national et local en raison des dommages à l’environnement et à la santé des personnes ainsi que de la perte des moyens d’existence tirés de l’exploitation des terres et de la dislocation sociale.[8] Une meilleure « gouvernance » et une meilleure distribution et réinvestissement des revenus découlant de l’exploitation minière sont offertes comme une solution à ce phénomène, souvent désigné comme la « malédiction des ressources ». Mais, édifier cette gouvernance peut s’avérer prohibitif[9] et peut détourner des fonds des secteurs qui réduisent la pauvreté. En outre, les sociétés pétrolières, gazières et minières ont de plus en plus recours à des dispositions de libre-échange et à des accords de protection des investissements qui empêchent les gouvernements « hôtes » de prendre des mesures qui pourraient autrement assurer le respect de l’auto-détermination et du bien-être de la communauté, la protection de l’environnement et des bonnes conditions de travail.
4. Les contributions antérieures du gouvernement canadien à la gouvernance des ressources naturelles ailleurs affichent un bilan privilégiant l’investissement et la rentabilité plutôt que la réduction de la pauvreté et la protection des droits des communautés la personne, des travailleurs et de l’environnement
Honduras: Peu de temps après que la mine San Martín de Goldcorp dans la vallée de Siria a commencé sa production autour de l’an 2000, les Honduriens ont réalisé que leur loi sur les mines, adoptée à la hâte dans le sillage de l’ouragan Mitch en 1998, ne prévoyait aucun recours pour les communautés en subissant les répercussions néfastes. En conséquence, ils ont exercé des pressions pour obtenir des réformes visant à interdire l’exploitation minière à ciel ouvert et l’utilisation de certaines toxines dans le traitement minier, et à donner aux communautés un rôle décisif au moment de procéder ou non à l’exploitation minière sur leurs terres. Ils ont fait des progrès. En 2006, leur gouvernement a imposé un moratoire sur les nouveaux projets miniers. En 2009, un projet de loi intégrant leurs revendications était prêt à être débattu. Mais, un coup d’état militaire en juin 2009 mis fin à tout cela… un coup et des violations systématiques des droits de la personne de la résistance, que le Canada n’a ni dénoncé, ni sanctionné. Le projet de loi sur les mines n’a jamais été débattu.
Les autorités canadiennes n’ont pas perdu de temps après les élections de 2009, largement critiquées comme étant illégitimes, pour exercer des pressions pour qu’une loi sur les mines susceptible de plaire à l’industrie soit adoptée et pour lever le moratoire.[10] En 2012, comme point culminant d’une série d’efforts du gouvernement du Canada, l’ACDI a parrainé un projet technique pour finaliser la loi sur les mines qui a été adoptée en janvier 2013. Celle-ci ouvre la porte à de nouveaux projets miniers dans ce qui est aujourd’hui le pays le plus violent de la région. Ceci constitue un revers majeur par rapport à ce que les Honduriens avaient proposé.[11] Malgré des niveaux élevés de corruption au sein du corps policier et une recrudescence de la coopération militaire avec la police, la loi sur les mines impose une taxe de sécurité de 2 % sur les activités minières qui incitera directement les forces de la sécurité à protéger les intérêts des entreprises.
Colombie: au milieu des années 1990, l’ACDI a financé un projet d’assistance technique pour réformer la loi colombienne sur les mines.[12] Ces réformes ont été approuvées en 2001, dans le contexte d’une guerre civile encore en cours dans laquelle les populations rurales, autochtones et afro-colombiennes sont représentées de façon disproportionnée parmi les millions de victimes de déplacement forcé et de violence systématique, en particulier dans les régions riches en minéraux.[13] Développées avec le soutien d’avocats qui travaillent en étroite collaboration avec l’industrie minière, ces réformes ont ouvert la voie au démantèlement de la société minière d’État. Elles ont criminalisé l’exploitation minière artisanale, ont subordonné les plans d’aménagement des terres locaux aux intérêts miniers et ont limité le rôle des autorités environnementales.[14]
Une recrudescence de l’insécurité et des conflits est une autre conséquence de cette politique. Par exemple :
- La ville de Marmato, avec sa longue histoire de l’exploitation minière artisanale, et une importante population d’afro-colombiens et d’indigènes d’Embera-Chamí s’oppose au projet de Gran Colombia Gold visant à déplacer la ville afin de construire une mine à ciel ouvert.
- Le Comité pour le défense de l’eau et páramo de Santurbán ont organisé plusieurs manifestations, auxquelles participaient des dizaines de milliers de personnes, dans la ville de Bucaramanga en opposition au projet d’Eco Oro Minerals et d’autres sociétés d’exploration minière pour construire des mines d’or industrielles dans et pres des terres humides qui approvisionnent en eau des millions de résidents en aval. Des communautés rurales qui dépendent de l’exploitation minière à petite échelle et de l’agriculture sont déjà militarisées. Elles perdraient leur gagne-pain actuel et seraient complètement transformées par des projets provisoires de grande envergure.
- Les communautés afro-colombiennes dans le département de Cauca et les peuples autochtones de Taraira dans le département amazonien de Vaupés se sont opposés aux efforts de Cosigo Resources pour pénétrer dans leurs communautés sans leur consentement ou pour acheter le leadership afin d’ouvrir leurs territoires à l’exploitation minière.
Une mobilisation nationale dans toute la Colombie en 2013 a montré une opposition croissante envers l’exploitation minière industrielle. On y revendiquait l’abrogation des concessions minières et des contrats en territoire indigène[15] et la participation effective garantie des communautés et des mineurs traditionnels, à petite échelle, lors de l’élaboration de la politique minière.[16]
Pérou: de 1998 à 2011, l’ACDI a financé la Réforme du secteur minier Pérou-Canada (Percan), une collaboration de l’ordre de 17,7 millions $ avec le ministère péruvien de l’Énergie et des Mines qui partageait un objectif similaire à celui de l’ICIIED.[17] Pendant ce temps, toutefois, le secteur minier est devenu la principale source de conflits sociaux-environnementaux au pays, au nombre de plus d’une centaine.
Par exemple :
- En 2002, les habitants de Tambogrande ont tenu un vote local démontrant une opposition écrasante au projet de la Manhattan Minerals à l’effet de construire une mine à ciel ouvert qui déplacerait la moitié de la ville. Depuis, la Manhattan Minerals a fait faillite. Mais, la compagnie péruvienne Buenaventura continue de faire pression pour pénétrer dans la région.
- En 2009, le peuple indigène Achuar dans le nord de l’Amazonie péruvienne a participé en grand nombre à un important blocus de 57 jours en opposition aux tentatives d’exploration des dépôts d’or de Dorato Resources dans leurs cours supérieurs. Le blocus a pris fin à la mort de 33 policiers, d’autochtones et d’habitants de la ville. Il a également réinscrit le débat sur le consentement des communautés avant toute exploitation minière à l’ordre du jour national. Ce conflit se poursuit avec d’autres alors que le manque de respect pour l’auto-détermination de la communauté demeure une question fondamentale, comme en témoigne la lutte de la communauté paysanne des Cañaris contre le projet de mines de cuivre à ciel ouvert de Candente Copper motivé par les impacts potentiales à l'approvisionnement en eau.
- À La Libertad, l’Interprovincial Association for the Defence of Environmental Rights a exigé de la Barrick Gold qu’elle procède au nettoyage de l’eau contaminée dans le cadre de son projet aurifère à ciel ouvert de Lagunas Norte. La municipalité de Santiago de Chuco a adopté une ordonnance pour tenter de protéger ses sources d’eau de l’expansion de la mine. L’Association a également dénoncé les projets de partenariats des ONG avec Barrick Gold, financés par l’ACDI, compte tenu de la création d’organisations parallèles qui marginalisent leurs revendications.
Les efforts de l’ACDI, principalement dirigés comme ils l’ont été vers des partenariats avec des sociétés minières et l’auto-régulation des entreprises, a induit l’Institut Nord-Sud et Cooperacción basée à Lima à conclure que les approches de l’ACDI au Pérou « ne sont aucunement novatrices et ont tendance à reprendre des thèmes qui ont déjà échoué ».[18] Parmi d’autres changements qui font cruellement défaut, des réseaux et des organisations de la société civile péruvienne ont demandé une planification régionale avec le développement durable comme priorité, le respect de l’auto-détermination des communautés et le droit des peuples autochtones au consentement libre, préalable et éclairé ainsi que la protection des approvisionnements en eau.[19],[20]
[1] Kim Mackrael, Globe and Mail, « Huge opportunities’ for Canadian mining industry to work in developing countries, » le 19 juin 2013.
[2] ACDI, « Accord de contribution : l’Institut canadien international pour les industries extractives et le développement », mis en œuvre par l’Université de la Colombie-Britannique, Projet no. S-065811, signé les 23 et 24 mai 2013.
[3] Accord de contribution, mai 2013.
[4] http://laws-lois.justice.gc.ca/fra/lois/O-2.8/page-1.html
[5] Accord de contribution, mai 2013.
[6] Ministère canadien des Affaires étrangères, du Commerce et du Développement (MCAÉCD), « Bulletin d’information RSE », 2013. Numéro 18.
[7] MCAÉCD, 2013.
[8] Coumans, Catherine. Janvier 2012. CIDA’s Partnership with Mining Companies Fails to Acknowledge and Address the Role of Mining in the Creation of Development Deficits. Consultez aussi Coumans, Catherine. Décembre 2013. Mining and development – how much will it cost us to clothe the naked emperor? et Whose development? Mining, local resistance and development agendas
[9] Ibid.
[10] Mines Alertes, « Canada’s Subsidies to the Mining Industry Don’t Stop at Aid », juin 2012; http://www.miningwatch.ca/article/backgrounder-dozen-examples-canadian-mining-diplomacy
[11] Mines Alertes, « Honduran Mining Law Passed and Ratified, but the Fight is Not Over » le 24 janvier 2013; http://www.miningwatch.ca/article/backgrounder-dozen-examples-canadian-mining-diplomacy
[12] CENSAT-Agua Viva et Mines Alertes, « Land and Conflict: Resource Extraction, Human Rights, and Corporate Social Responsibility - Canadian Companies in Colombia », septembre 2009.
[13] Groupe d’orientation politique pour les Amériques « Briefing Note: Mining », avril 2012
[14] Groupe d’orientation politique pour les Amériques, avril 2012.
[15] Congreso de los Pueblos, « Llamamiento a la Minga Indígena, Social y Popular » le 12 octobre 2013
[16] Mesa Nacional Agropecuaria y Popular de Interlocución y Acuerdo, « Paro Nacional Agrario y Popular: Pliego Nacional de Peticiones Agropecuarias y Populares » le 19 août 2013;
[17] Bonnie Campbell, Etienne Roy-Gregoire et Myriam Laforce, UQAM, « Regulatory Frameworks, Issues of Legitimacy, Responsibility and Accountability – Reflections drawn from the PERCAN initiative » Dans : Governance Ecosystems: CSR in the Latin American Mining Sector, Ed. Julia Sagebien et Nicole Marie Lindsay (2011), Palgrave McMillan.
[18] José De Echave C., Cooperacción et l’Institut Nord-Sud, « Des invités à la table d’honneur : la croissance du secteur de l’extraction, la participation des autochtones/paysans aux processus multipartites et la présence canadienne au Pérou », décembre 2010.
[19] Alternativas al Extractivismo, “El Perú y el Modelo Extractivo: Agenda para el Nuevo Gobierno y Necesarios Escenarios de Transición,” 24 del marzo de 2011.
[20] Red Muqui y Comunicaciones Aliadas, “Agua para Todos y para Siempre”