L’ombudsman des mines se fait encore attendre

Source:
Le Devoir
Le nouvel ombudsman est censé obtenir les outils nécessaires pour forcer les entreprises canadiennes installées à l’étranger, comme ici au Chili, à collaborer à ses enquêtes en fournissant documents et témoignages.
Photo: Jorge Saenz Associated Press Le nouvel ombudsman est censé obtenir les outils nécessaires pour forcer les entreprises canadiennes installées à l’étranger, comme ici au Chili, à collaborer à ses enquêtes en fournissant documents et témoignages. 

C’était il y a un an. Le gouvernement de Justin Trudeau annonçait en grande pompe qu’il tiendrait sa promesse électorale de doter le pays d’un ombudsman pour surveiller le comportement des entreprises canadiennes à l’étranger. Mais douze mois et une semaine plus tard, le titulaire du poste n’a toujours pas été nommé. Des ONG s’impatientent et s’inquiètent qu’Ottawa ne tente de diluer les pouvoirs du futur chien de garde.

L’ombudsman se veut un remplacement du conseiller en responsabilité sociale des entreprises de l’industrie extractive, qui existait depuis 2009. Ce conseiller offrait un service de médiation entre l’entreprise canadienne et les civils touchés par un projet minier lorsqu’une allégation de mauvaises pratiques était formulée. Mais le tout restait volontaire : le refus d’une des deux parties d’y participer faisait avorter le processus. Le nouvel ombudsman devait obtenir les outils nécessaires pour forcer les entreprises canadiennes à collaborer à ses enquêtes en fournissant documents et témoignages. Son mandat devait aussi être élargi aux industries textile, pétrolière et gazière.

Impatience

« Ça nous inquiète beaucoup que [le nom de] l’ombudsman n’ait toujours pas été annoncé. Il n’y a pas de justification pour ce délai », lance Emily Dwyer, la coordonnatrice du Réseau canadien sur la reddition de comptes des entreprises. « C’est pour répondre à des allégations de graves violations de droits de la personne : il y a des exemples d’allégation de meurtres, de blessures physiques graves. Donc ce n’est pas quelque chose de pas important ou urgent. On est déçus qu’on ait passé l’anniversaire et qu’on n’ait toujours pas de nomination et que le bureau n’ait toujours pas été créé. »

Du côté de Développement et Paix, qui avait salué l’annonce l’an dernier, on s’impatiente également. « On trouve cela très long », lance Elana Wright. Elle estime que le nouveau ministre du Commerce international, Jim Carr, est moins engagé envers la cause que son prédécesseur, Philippe-François Champagne, qu’il a remplacé en août. « Depuis que le ministre Carr a été nommé, le processus a été ralenti et on n’a vu aucune action de sa part. » Le comité consultatif regroupant toutes les parties prenantes à cet enjeu ne s’est plus rencontré depuis l’arrivée de M. Carr, affirme Mme Wright.

Le ministre Carr a promis à la Chambre des communes le 11 décembre dernier que la nomination de l’ombudsman serait faite « très bientôt ». La dernière offre d’emploi affichée sur le site du gouvernement donnait jusqu’au 4 décembre pour postuler. Le salaire offert oscille entre 183 600 $ et 216 000 $ par année.

Quels pouvoirs ?

Certaines ONG s’inquiètent que ce délai trahisse une hésitation de la part d’Ottawa à donner autant de pouvoirs que prévu à l’ombudsman. C’est le cas de Mining Watch. « Nous n’avons pas reçu de garantie claire que ces pouvoirs [de coercition] seraient octroyés à l’ombudsman », a déclaré la coordonnatrice du groupe, Catherine Coumans, au Hill Times.

L’Association minière du Canada s’oppose d’ailleurs à l’octroi de tels pouvoirs. « À notre avis, si on veut des pouvoirs judiciaires, il faut un processus judiciaire. Ça va être plus long, ça va nuire à la bonne volonté des deux parties, plaide le président, Pierre Gratton. Ce n’est pas ce que fait normalement ce type de personne. Il fait plutôt de la conciliation, de la médiation. » M. Gratton soutient néanmoins que la lenteur du processus de nomination n’est aucunement liée à d’éventuelles démarches de la part de son groupe.

 Comme tous les processus de nominations par décret, il prend le temps voulu afin qu’il soit ouvert, transparent et fondé sur le mérite

— Sylvain Leclerc

Le ministère n’a pas expliqué pourquoi la nomination se faisait tant attendre. « Comme tous les processus de nominations par décret, il prend le temps voulu afin qu’il soit ouvert, transparent et fondé sur le mérite », indique par courriel le porte-parole Sylvain Leclerc. Le mandat de l’ombudsman, ajoute-t-il, « sera précisé au moyen d’un décret ». Il faudra que le décret soit pris en vertu de la Loi sur les enquêtes pour que le titulaire de la charge ait des pouvoirs coercitifs, rappelle Mme Dwyer.

Le retard dans la nomination a créé un vide puisque le mandat du dernier conseiller a expiré en mai dernier. Le gouvernement libéral a été maintes fois critiqué pour sa lenteur à procéder à des nominations, que ce soit de juges, d’agents du Parlement ou encore de la commissaire de la GRC.