Des citoyens de Chiapas ont manifesté leur colère après l'assassinat de Mariano Abarca, porte-parole du mouvement qui réclamait de meilleures redevances minières pour la population locale.
Publié le 06 mai 2013 à 04h30 | Mis à jour le 06 mai 2013 à 10h12
Vincent Larouche, La Presse
Des documents internes du ministère des Affaires étrangères démontrent que l'ambassade canadienne au Mexique a offert un soutien «actif et inconditionnel» à un projet minier controversé marqué par des accusations de corruption et l'assassinat d'un opposant local, selon un rapport qui doit être dévoilé aujourd'hui par plusieurs ONG.
Le rapport, obtenu en primeur par La Presse et le Toronto Star, est basé sur 900 pages de documents obtenus grâce à la Loi sur l'accès à l'information. Il révèle notamment que les notes préparatoires à un discours de la gouverneure générale de l'époque, Michaëlle Jean, ont été modifiées par le personnel de l'ambassade afin de s'assurer qu'elle ne ferait pas trop de vagues avec le meurtre d'un militant antimine.
Ce sont les organismes Mines Alerte Canada, Common Frontiers, et le syndicat des Métallos qui ont financé la recherche documentaire et sur le terrain au Mexique.
Leur cible: une mine de baryte exploitée par la société albertaine Blackfire Exploration, à Chicomuselo, dans l'État du Chiapas.
Pendant les deux ans où la mine était en activité, en 2008 et 2009, un mouvement d'opposition s'est étendu dans la petite localité. Les protestataires, avec le militant Mariano Abarca en tête, demandaient que les populations appauvries du Chiapas bénéficient davantage des redevances minières. Ils s'inquiétaient aussi des impacts environnementaux.
La tension était palpable. Mariano Abarca a livré un discours enflammé devant l'ambassade canadienne à Mexico. «Certains d'entre nous ont reçu des menaces, déplorait-il, et nous ne croyons pas juste que des étrangers viennent créer des conflits tout en ramenant la richesse dans leur pays», avait-il lancé. Abarca avait d'ailleurs porté plainte à la police, en précisant que les menaces étaient liées à son militantisme.
Le 27 novembre 2009, Abarca était assassiné. Un employé, un sous-traitant et un ex-sous-traitant de Blackfire ont été arrêtés en lien avec le meurtre.
Peu après, une autre enquête a été ouverte à la suite de la découverte de versements d'argent par Blackfire dans le compte bancaire personnel du maire de Chicomuselo. La GRC a d'ailleurs ouvert une enquête à ce sujet.
La mine, elle, a finalement été fermée pour infractions environnementales.
Soutien indéfectible
En épluchant les documents officiels canadiens, les ONG canadiennes disent avoir découvert que l'ambassade canadienne à Mexico a appuyé systématiquement l'entreprise malgré toutes ces controverses, en balayant d'un revers de main le mouvement d'opposition local sans jamais exiger d'effort de la part de Blackfire.
«Nous ne disons pas que l'ambassade n'a pas le mandat d'appuyer les intérêts économiques du Canada. Mais les ambassades canadiennes à travers le monde sont censées assurer la protection des droits humains individuels et collectifs», explique Jennifer Moore, coauteure du rapport.
Le rapport cite un courriel de remerciement d'un cadre de Blackfire au personnel diplomatique canadien. «Nous tous à Blackfire apprécions vraiment tout ce que l'ambassade a fait pour aider à pousser le gouvernement de l'État à faire fonctionner les choses pour nous», dit-il.
D'autres documents démontreraient que l'ambassade a fait la promotion de la vision de Blackfire selon laquelle l'opposition à la mine était «dangereuse et potentiellement criminelle».
Le rapport souligne que lorsque la gouverneure générale de l'époque, Michaëlle Jean, s'est rendue au Chiapas, l'ambassadeur canadien avait proposé une prise de position vigoureuse de sa part sur l'assassinat de Mariano Abarca. «Elle devra reconnaître l'incident, appeler les autorités à traduire les responsables en justice, répudier ceux qui commettent des actes de violence et souligner le besoin de respecter les droits humains et l'état de droit», disait-il.
Mais lors de discussions internes, un responsable commercial a fait adoucir le ton des notes de briefing préparées pour Mme Jean. «Nous allons suivre cette situation de près avec la ferme conviction et l'espoir que justice sera rendue», a-t-elle finalement déclaré.
Réactions prudentes
Jointe par La Presse, Caitlin Workman, porte-parole du ministère des Affaires étrangères, a dit ne pouvoir commenter le rapport sur Blackfire avant publication. Mais elle a précisé qu'Ottawa s'attend à ce que les entreprises canadiennes opérant à l'étranger «respectent les lois de ces pays ainsi que nos normes éthiques».
«Le gouvernement du Canada continue de surveiller de près la situation des droits humains au Mexique», a-t-elle ajouté.
Joint par courriel, un porte-parole de Blackfire a affirmé que l'entreprise collabore pleinement à l'enquête de la GRC.
«Quant aux actes d'anciens sous-traitants et employés, nous ne sommes pas en mesure de contrôler ce que font les individus dans leur vie personnelle, et leurs actions ne relèvent pas le moindrement de Blackfire», a-t-il insisté.