Billet de blog

Contre l’abaissement des normes de la qualité de l’atmosphère relatives au nickel annoncé par le gouvernement du Québec

Rodrigue Turgeon

National Program Co-Lead

MiningWatch Canada et les membres de Québec meilleure mine se prononcent fermement contre un assouplissement des normes de qualité de l’atmosphère relatives au nickel, tel que proposé actuellement par le gouvernement du Québec. 

Le 20 février 2022, les deux organismes ont soumis conjointement leurs commentaires écrits en ce sens au Ministère de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques (voir document PDF ci-joint). Les préoccupations et recommandations ont été présentées dans le cadre des consultations portant sur le projet de Règlement modifiant le Règlement sur l’assainissement de l’atmosphère qui propose de modifier la norme journalière actuelle sur le nickel et d’y ajouter une norme annuelle. 

Mise en contexte

Lorsque relâché dans l’air, le nickel peut s’avérer être une substance polluante, toxique et cancérigène pouvant affecter à la fois la santé publique et l’environnement. 

En l’absence d’intervention humaine, le nickel peut se rencontrer en quantité infime dans l’atmosphère. C’est notamment lors des activités minières entourant l’exploration, l’exploitation, la transformation et le transport de ce métal que les concentrations de ses différents dérivés sont sujettes à augmenter, parfois considérablement. Les opérations de transbordement dans les installations minières et portuaires s’avèrent particulièrement problématiques puisqu’elles peuvent relâcher dans l’air d’importantes quantités de poussières contenant du nickel sous différentes conformations chimiques. 

Le gouvernement du Québec avait déjà annoncé en mars 2021 son intention de permettre aux compagnies d’émettre davantage de nickel dans l’air. Ce faisant, l’État donnait suite aux pressions exercées depuis 2013 par les lobbyistes de l’industrie minière, à commencer par la compagnie multinationale Glencore. L’Association minière du Québec a également contribué à cet effort d’abaisser les normes québécoises de 2015 à 2018. 

C’est finalement le 22 décembre 2021 que le ministre de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques a inscrit à l’édition de la Gazette officielle du Québec le projet de Règlement modifiant le Règlement sur l’assainissement de l’atmosphère. Deux paragraphes publiés dans cet avis résument l’objectif du gouvernement derrière cette proposition de modification réglementaire : 

« Ce projet de règlement vise à réduire les incertitudes économiques associées à l’application de la norme actuelle tout en maintenant la protection de la santé publique et de l’environnement.  

Les modifications prévues à ce projet de règlement ont un impact positif sur les entreprises puisqu’elles auront une plus large marge de manœuvre dans leur production en raison de l’ajout d’une norme annuelle. Elles n’entraînent pas de nouvelles formalités administratives ni de coûts supplémentaires pour les entreprises. En ce qui concerne les impacts pour les citoyens, les modifications permettent de prévenir et de limiter les impacts sur la santé publique à un niveau qualifié d’acceptable suivant les normes et critères de qualité de l’atmosphère du Québec. »

Lors de déclarations publiques subséquentes, des représentants du gouvernement ont cherché à justifier la nécessité de rendre plus permissive les normes actuelles afin que le Québec soit plus compétitif pour déployer une filière complète de batteries, des mines aux véhicules électriques. Dans un courriel envoyé à Radio-Canada, un porte-parole du Ministère de l’Économie et de l’Innovation a notamment affirmé que « la modification de la norme sur le nickel assurera la poursuite de projets d’entreprises du secteur et appuiera les nombreux efforts pour créer une filière complète de fabrication de batteries au Québec ». 

Levée de bouclier immédiate

Les réactions contre l’affaiblissement des normes sur le nickel ne se sont pas fait attendre et ont donné lieu à une importante mobilisation. Et ce, même si le début de la période de consultation de 45 jours coïncidait avec le début de la période des vacances des Fêtes - qui se sont déroulées sous un couvre-feu dans la province de Québec. 

Au sein de la société civile, c’est l’Initiative citoyenne Vigilance Port de Québec qui a piloté la mobilisation citoyenne à laquelle MiningWatch Canada et Québec meilleure mine ont notamment pris part. La Ville de Québec s’est rapidement prononcée contre l’affaiblissement des normes sur le nickel. 

Fait à noter, même les directions de santé publique ont unanimement pris position contre la modification réglementaire en appelant le ministre de l’environnement à conserver la norme actuellement en vigueur. L’Association québécoise des médecins pour l’environnement s’est également prononcée contre tout assouplissement des normes atmosphériques. 

Nos arguments contre l’assouplissement des normes relatives au nickel

Pour MiningWatch Canada et Québec meilleure mine, la proposition d’assouplissement des normes relatives au nickel dans l’air va à l’encontre de plusieurs principes enchâssés dans la Loi sur le développement durable du Québec, dont les principes de santé et qualité de vie, de précaution, de prévention, d’accès au savoir et de pollueur-payeur. À l’instar de la Ville de Québec et de nombreux organismes citoyens, environnementaux et oeuvrant en santé publique, nous avons demandé au gouvernement du Québec de reculer, de maintenir les normes actuelles, d’installer davantage de stations de stations de mesure des polluants atmosphériques près des sources polluantes, de publier les données sur la qualité de l’air ambiant, d’identifier et de sanctionner les contrevenants, et surtout, d’exiger des pollueurs industriels d’investir pour mettre en place les meilleures pratiques et technologies connues afin de réduire les émissions de polluants.

Notre position repose sur les principes enchâssés dans la Loi sur le développement durable, notamment les principes de santé et qualité de vie, de prévention, de précaution et de pollueur-payeur. Afin d’assurer une valeur ajoutée des minéraux produits au Québec, nous avons enjoint le gouvernement à suivre les tendances mondiales d’un resserrement des normes environnementales pour répondre aux exigences croissantes des marchés, manufacturiers, investisseurs et consommateurs, notamment dans les secteurs de l’électronique et de l’automobile - et non d’un assouplissement des normes. 

Par ailleurs, si le gouvernement souhaite agir concrètement pour réduire l’empreinte environnementale et énergétique de son économie tout en favorisant le développement de la filière des minéraux critiques et stratégiques, nous l’avons invité à adopter des politiques d’écofiscalité visant la réduction des activités minières non pertinentes dans un contexte d’urgence climatique, tout en soutenant les travailleurs et les populations des régions éventuellement affectés par ces mesures à l’aide d’alternatives valorisantes et responsables. 

Pour en savoir plus, nous vous invitons à consulter nos commentaires joints en format PDF au présent article de blog. 

Une mobilisation citoyenne exemplaire

Pour l’ensemble de son œuvre, nous tenons à souligner la mobilisation citoyenne exemplaire de l’initiative citoyenne Vigilance Port de Québec. Depuis plusieurs années, ce comité citoyen participe activement à la collecte et à la diffusion d’informations et de témoignages sur les impacts environnementaux des activités industrielles au Port de Québec. Pour suivre leurs activités ou rejoindre leurs rangs, voici quelques hyperliens : page Facebook ; groupe Facebook ; site Internet.

La suite

Le Ministère de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques étudie présentement les commentaires reçus dans le cadre de sa consultation. Le moins que l’on puisse dire est que nous espérons qu’il prendra acte du large consensus qui se dégage contre sa tentative de diminuer les exigences environnementales. La suite de l’étude du projet de règlement se déroulera en commission parlementaire à l’Assemblée nationale du Québec. 

Nous n’insisterons jamais assez sur l’importance d’assurer aux populations la meilleure qualité d’air possible, particulièrement à celles vivant à proximité d’installations polluantes. Outre les problèmes de qualité de l’air spécifiques à la Ville de Québec, il importe également de porter attention à la qualité de l’air et aux risques pour l’environnement et les populations qui vivent à proximité d’autres sites polluants au Québec. 

Aucune des études qui soutiennent la proposition actuelle du MELCC ne tiennent compte de ces sites. C’est le cas, notamment, d’usines œuvrant dans la transformation et le recyclage des métaux, dont le nickel, comme les citoyens de Rouyn-Noranda qui sont déjà sévèrement affectés par les rejets de polluants de la Fonderie Horne de la compagnie Glencore. Il est également question des écosystèmes et des Nunavimiut vivant aux abords des mines de nickel Raglan, aussi de la compagnie Glencore, et de Nunavik Nickel, de la compagnie Canadian Royalties, toutes deux en opération au Nunavik. Il faut également considérer les autres écosystèmes et les populations qui risquent d’être affectés au cours des prochaines années par de nombreux projets de gisements de nickel, de fer et d’autres éléments du groupe du platine en sous-produits du nickel, dont ceux déjà identifiés par le MERN : Dumont Nickel (Abitibi-Témiscamingue), Bravo (Nunavik), Hawk Ridge (Nunavik), Lac Ménarik (Eeyou Istchee), Lac Rocher (Eeyou Istchee), Nisk-1 (Eeyou Istchee) et Grasset (Eeyou Istchee). 

Certains de ces projets ont déjà obtenu des certificats d’autorisation sur la base d’études environnementales qui tenaient compte d’une norme de protection plus stricte pour le nickel. Un assouplissement de la norme pourrait rendre caduques ces études et ces certificats, exposant Québec ou les industriels à des recours juridiques, notamment pour exiger une réévaluation des impacts sanitaires, environnementaux et écotoxicologiques associés à une hausse des émissions de polluants atmosphériques.

Chose certaine, chez MiningWatch Canada et Québec meilleure mine, nous continuerons de suivre l’évolution de ce dossier de près et de marteler l’importance de resserrer - et non d’assouplir! - le cadre réglementaire et législatif entourant les activités minières. 

Autres mémoires clefs déposés durant la consultation

Commentaires de QMM et MWC sur le projet de règlement modifiant les normes sur le nickel - 2022